Mercedes-Benz vient d’annoncer l’inimaginable: un véhicule électrique capable de parcourir 1 000 kilomètres sur une seule charge. Il ne s’agit pas d’une «simulation» en laboratoire, encore moins d’une expérience universitaire mettant en cause une petite écono-box sur roues, menée par un étudiant en génie (maigre et à lunettes, l’étudiant, évidemment).
Au contraire: nous parlons ici d’une vraie berline quatre portes, conduite sur de vraies routes, à des vitesses réelles et qui a néanmoins réussi à livrer, si les comptes-rendus sont crédibles, une autonomie supérieure à 1000 kilomètres…
… et même plus. En effet, après avoir parcouru les 1008 km qui séparent Sindelfingen, en Allemagne, de la ville de Cassis, sur la célèbre Côte d’Azur française, la Mercedes-Benz Vision EQXX se targuait d’encore quelque 15% d’autonomie restante dans son «réservoir», ce qui lui aurait permis de parcourir un autre 140 km.
Bref, on serait devant une autonomie – réelle, j’insiste – de près de 1150 km.
Aussi phénoménale cette distance puisse-t-elle paraître, ce n’est pas là l’accomplissement le plus étonnant de la voiture. Ce n’est pas, non plus, le fait qu’elle ait réussi ce tour de force avec «seulement» 100 kilowattheures de batteries à bord. Ai-je besoin de vous rappeler que les nouvelles camionnettes électriques misent sur des accumulateurs de 200 kWh – et même plus dans le cas du GMC Hummer EV – mais qu’elles promettent pourtant tout juste la moitié de cette autonomie?
Le plus étonnant n’est même pas le fait que le rendement énergétique sur route de l’EQXX équivaut à seulement 8,7 kWh/100 km (soit les 1008 kilomètres parcourus, divisés par les 86 kWh utilisés). Pour vous dire bien honnêtement, si on n’avait pas les preuves photographiques de ce voyage pour prouver la chose, je mettrais sérieusement en doute pareille affirmation.
C’était pas d’la tarte
Non, l’accomplissement le plus étonnant dans toute cette histoire est que non seulement la Mercedes Vision EQXX a réellement parcouru cette distance, mais qu’elle l’a fait dans les conditions les plus difficiles qui soit.
D’une part, une grande partie du parcours s’est déroulée sur l’Autobahn allemande, où l’EQXX a maintenu, soutient le constructeur, une vitesse constante de 140 km/h. Croyez-moi: pour avoir testé à peu près tous les véhicules électriques du marché actuel, tant pour leur autonomie que leur efficacité, je peux vous affirmer que la vitesse pénalise les véhicules électriques encore plus qu’elle n’augmente la consommation des véhicules à essence.
Que l’EQXX parvienne à maintenir du 140 km/h sans siphonner l’équivalent électrique de l’Exxon Valdez est donc saprément impressionnant.
Encore plus intéressant est le fait qu’une partie de l’itinéraire de l’EQXX a traversé les Alpes suisses. Mercedes souligne que les montées impliquées enregistraient une inclinaison moyenne de cinq degrés. Cela peut vous sembler dérisoire, mais sachez que l’un des tunnels alpins empruntés est le Saint-Gothard. Cette montée, je l’ai moi-même affrontée sur ma moto. Et croyez-moi cette fois encore: ce tronçon, que les «18-roues» terminent au ralenti de leur première vitesse, met à mal l’économie de carburant des véhicules diesels les plus frugaux – et assassine littéralement l’autonomie électrique.
Ajoutez le fait que le mercure frôlait à peine les 3 degrés Celsius lorsque la EQXX a atteint le sommet (je n’ai certainement pas besoin de vous rappeler que le froid constitue le talon d’Achille des batteries) et vous comprendrez qu’il y a de quoi être impressionné.
À ceux qui diront que les Alpes et l’Autobahn n’ont représenté qu’une portion du trajet de l’EQXX, je dirai que d’après mon expérience, l’un comme l’autre – et plus précisément: l’un sans l’autre – aurait suffi à court-circuiter la réserve de lithium-ions de n’importe quel véhicule électrique «ordinaire».
Zéro émission… et zéro révolution
Maintenant, et aussi remarquable ce périple puisse-t-il paraître, il réserve une déception. Comme plusieurs, j’espérais qu’une nouvelle technologie ou qu’une chimie révolutionnaire serait à la source de cet exploit. J’espérais une découverte qui, si appliquée à tous les futurs véhicules électriques, allait être le remède universel à notre anxiété de la panne, de sorte qu’on allait enfin pouvoir emboîter le pas de cette révolution «électrique» sans craindre de rester en rade au bord de l’autoroute.
Malheureusement, comme pour beaucoup de choses dans la vie, il s’agit d’un (autre) exemple courant – et commun d’ingénierie du… détail.
Ainsi, bien que les batteries de l’EQXX, avec 100 kWh, ne soient pas particulièrement généreuses, elles sont – et c’est là l’important – petites, physiquement. De fait, et grâce à leur densité énergétique supérieure, elles sont 50% plus petites et 30% plus légères que, par exemple, celles de la Mercedes-Benz EQS 580 récemment mise en marché. Et pourtant, elles ne contiennent que 7,8 kWh en moins.
Par ailleurs, l’EQXX dans son entièreté ne pèse que 1755 kg (3870 lb). Voilà qui se compare avantageusement aux 2585 kg (5685 lb) avec lesquels l’EQS fait osciller la balance. Ne pas avoir à propulser ces 1815 livres supplémentaires en gravissant le Gothard explique pourquoi l’EQXX avait encore 15% d’énergie en réserve après 1008 km de trajet, alors que l’EQS ne prétend qu’à 547 km d’autonomie. (Mon essai plus tôt ce printemps a plutôt révélé une autonomie de 332 km).
Autre principe d’ingénierie fort simple, cette fois expliquant que la berline électrique ait pu parcourir l’Autobahn de manière si efficace: son aérodynamisme. Avec une silhouette qui rappelle les reliques automobiles du passé qui engrangeaient les records de vitesse de pointe, l’EQXX affiche un coefficient de traînée de 0,17 cx. Voilà qui est super-profilé, quand on sait que la plupart de nos berlines de production, même les plus aérodynamiques, ne descendent pas sous les 0,20 cx.
Considérant que la résistance augmente avec le carré de la vitesse, et que la puissance nécessaire pour surmonter cette résistance augmente avec son cube, c’est dire que c’est l’ultra-faible traînée de l’EQXX qui lui a permis de filer si loin, si vite et si efficacement.
Bien sûr, ces optimisations en poids et en aérodynamisme ne vont pas sans compromis. D’une part, le design de l’EQXX est pour le moins… inhabituel, avec un profil que seul un aérodynamicien peut apprécier. Son diffuseur arrière semble avoir été piraté du côté d’une McLaren Senna, et le fait que son arrière-train soit 50 millimètres plus étroit que l’avant est un bien étrange bouleversement de la norme de style régissant les voitures de luxe d’aujourd’hui.
Cela dit, la silhouette de l’EQXX est une fidèle imitation de la légendaire goutte de pluie, la forme aérodynamique parfaite que nous offre Mère Nature. De même, les pneus Bridgestone 185/65R20 sont exceptionnellement étroits et, Mercedes-Benz ne s’en cache pas, ont la souplesse d’une rondelle de hockey.
Mais… ça marche. Même qu’il s’agit là d’une incroyable preuve en situations réelles, peut-être même la preuve la plus convaincante à ce jour.
Car contrairement à d’autres expériences qui ont testé l’autonomie électrique en impliquant toutes sortes de supercheries – pensez au challenge Cannonball entre Los Angeles et New York à bord de la Tesla Model 3, dans laquelle le conducteur portait trois paires de pantalon pour ne pas avoir à «gaspiller» l’énergie en chauffant l’habitacle – l’exploit de Mercedes semble être un test de réelle autonomie tout à fait légitime.
Et pour ceux qui risqueraient d’en douter, sachez que l’EQXX était sous la surveillance d’un agent de cerficiation du TÜV allemand – imaginez un bonze de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) sur les stéroïdes… – et que le port de charge de la voiture avait été scellé en début de périple.
Nous attendions depuis longtemps une solution à l’anxiété de la panne qui afflige les (conducteurs de) véhicules électriques. Les 1008 kilomètres parcourus par l’EQXX pourraient bien être le premier – véritable – pas en ce sens.
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