Autodromo Vallelunga, Italie – Je ne m’attendais pas à un tel vacarme; personne ne s’attendait vraiment à pareil hurlement. Oh, avec 850 chevaux, je savais pertinemment que la dernière consécration de Pagani allait être rapide. Furieusement rapide, même. Après tout, il s’agit de la Huayra R, l’itération de performance la plus avancée de l’histoire du constructeur – et probablement la dernière Huayra à être propulsée par un V12.
Déjà que la seconde génération de supercars chez Pagani était parmi les plus évoluées de la planète, voilà que dans la plus pure tradition de la Zonda R, dont se souviennent avec tant d’amoroso les puristes de Pagani, mais aussi dans la lignée des Ferrari FXX et Lamborghini Essenza, la Huayra R est une bête exclusivement destinée à la piste.
Du coup, elle a pu être développée sans les contraintes habituelles imposées par les réglementations, par exemple sur les émissions et sur le bruit, auxquelles doivent se conformer tous les véhicules qui veulent arborer une plaque d’immatriculation – même les supercars homologués pour la route.
Conséquence: sur la Huayra R, les silencieux d’échappement sont optionnels. Vous avez bien lu: si vous avez 2,6 millions d’euros à dépenser, soit près de 4$ millions canadiens avec les taxes, vous avez le choix entre deux configurations de l’emblématique et affriolant système straight pipes 12-en-4 Inconel 625/718 de Pagani: la première avec un semblant de muffler et la seconde… sans.
Devinez maintenant quelle configuration nous avons pu tester sur le circuit Vallelunga, à une trentaine de kilomètres au nord de Rome…
2022 Pagani Huayra R Photo by Pagani
David Booth s’apprête à lancer la Pagani Huayra R sur le circuit Vallelunga. Photo by Nadine Filion
2022 Pagani Huayra R Photo by Pagani
2022 Pagani Huayra R Photo by Pagani
David Booth au volant de la Pagani Huayra R, à Vallelunga. Photo by Pagani
2022 Pagani Huayra R Photo by Pagani
Pagani Huayra R – Vallelunga Photo by Nadine Filion
Holy F#@&k !
Après avoir testé la Lamborghini Essenza (notre reportage ici, en anglais seulement) tout aussi dénudée d’échappements, l’automne dernier au Las Vegas Motor Speeday, j’aurais pensé être préparé à la cacophonie que 12 pistons de 87 millimètres peuvent émettre lorsqu’ils sont autorisés à brûler sans interférence.
Que non. Tout comme ne l’étaient pas, préparés, les autres autoscribes réunis pour l’occasion – un véritable who’s who du journalisme international spécialisé en sport automobile (sauf, bien sûr, pour votre soussigné). Je peux cependant vous affirmer que les vidéos amateures enregistrées par nos cellulaires renferment quelques Holy F#@&k ! – ou l’équivalent en allemand, en italien, voire en français. Heureusement, ces grossièretés se sont perdues dans l’ardente combustion de carburant de course à indice d’octane élevé, alors que sous la férule d’Andrea Palma, pilote-essayeur officiel de Pagani, le moteur V12 de la Huayra R s’animait ce jour-là pour la première fois.
Andrea Palma, pilote-essayeur officiel de Pagani, à bord de la Huayra R – Vallelunga, Italie. Photo by Nadine Filion
Vraiment, je ne m’attendais pas à l’assourdissante pétarade déversée par le légendaire quatuor «d’échappements» qui trône, en place d’honneur, à l’arrière-train de la Pagani. De simples bouchons d’oreille de 32 décibels, du style de ceux que j’enfonce sous mon casque lorsque je participe à une course de motos, ne peuvent rivaliser avec cette frénétique symphonie. Même les techniciens de Pagani, assez intelligents pour porter des cache-oreilles, prennent un pas de recul.
Officiellement, la Huayra R dénudée de tout artifice silencieux émet quelque 140 décibels, mais je tiens de source sûre que nous en émettions allègrement plus avant de passer en vitesse supérieure. La Huayra «atténuée», celle qui devrait vous permettre de courser sur les circuits restreignant le bruit, émet quand à elle 110 (à peine) gérables décibels. L’écart ne vous paraît pas significatif? Retournez à vos cours de sciences, pour vous rappeler que l’intensité acoustique est exponentielle. C’est dire que les mégaphones de la Pagani à l’échappement brut résonnent huit fois plus. (NDLR: Les circuits de Mont-Tremblant, au Québec, et de Calabogie, en Ontario, imposent une limite encore plus basse – de 92 décibels…)
Vous vous demandez comment ça résonne, 140 dB, en chair et en os? Imaginez le mugissement d’une Ferrari 458, mais avec quatre pistons en prime, enflé de la clameur d’un Top Fuel, la reine du quart de mille à la National Hot Rod Association. Si les courses de drag ne sont pas votre tasse de thé, imaginez les actuelles monoplaces de Formule 1 dont l’arrière-train diffuserait, via des amplificateurs Marshall, la prestation de Jimi Hendrix au Moody Coliseum en 1968. Les accros de l’avionique diront sans doute que l’ahurissant boucan de la Huayra n’est rien comparé à celui d’un F-14 qui décolle d’un porte-avion. Ces avions de chasse catapultés clament 130 décibels – le seuil de la douleur – mais comme je n’ai pas l’habitude de me glisser la tête dans des réacteurs General Electric, je ne m’avancerai pas sur la chose. Plutôt, je vais vous laisser juger par vous-mêmes:
V12 exclusif – et seulement en 30 copies
Quel que soit le système de mesure sonore que vous invoquez, tout ce que je peux vous dire, c’est que j’ai passé les 50 dernières années de ma vie à hanter les circuits de motos et de Formule 1 et je n’ai jamais, au grand jamais rien entendu de tel. La source de toute cette fureur auditive? Un tout nouveau V12 de 850 chevaux (bon, en fait, il livre 838 chevaux selon la classification SAE, les 850 «ps» revendiqués par Pagani étant ceux – gonflés – de la norme européenne).
Ledit organe propulse une Huayra qui, dénudée de tout système de son, de climatisation et – au risque de me répéter – de silencieux, fait osciller la balance d’à peine 1050 kilogrammes. L’accélération est donc, comme qui dirait, dynamique. Elle l’est suffisamment pour que, même dans ses calibrations les plus modérées, la Huayra R domine sa cousine la Huayra Roadster BC. Oui, oui: cette même BC qui, comme je vous le mentionnais dans mon essai routier l’été dernier, est propulsée d’un V12 de 6,0 litres fourni par Mercedes-AMG, le tout relevé de deux turbocompresseurs.
C’est que ce nouveau V12 n’est pas un V12 ordinaire. (NDLR: Euh… ça existe, un V12 ‘ordinaire’?). Contrairement à l’AMG M158 qui anime toutes les Pagani Huayra produites jusqu’à présent, le moteur de la Huayra R n’est pas une mécanique Mercedes plus ou moins révisée. De fait, la seule chose qu’il a en commun avec la motorisation de «production» est sa cylindrée de 6,0 litres. À tous les autres égards, il s’agit d’une bête complètement à part, sans aucune composante partagée.
Pour tout dire, ce V12-R, dont seulement 30 exemplaires seront à tout jamais construits, ne provient même pas de chez Mercedes-Benz. Plutôt, il est conçu par une obscure entité: HWA. Ce préparateur est peu connu, soit, mais il détient l’un des pedigrees les plus relevés qui soit: l’ingénieur à l’origine de sa fondation, l’allemand Hans-Werner Aufrecht, est partie prenante du duo Aufrecht et Erhard Melcher. Ça ne vous dit rien? Ajoutez Großaspach, lieu de naissance de l’ingénieur, et vous obtenez… AMG.
Pour ceux que ça intéresse, HWA a conçu le 6,2 litres de la Mercedes GT3 – entre autres projets «racing». Mais pour la Pagani Huayra R, tout a débuté avec la légendaire feuille de papier vierge. Une page blanche pas même noircie – rappelons-le – par les réglementations inhérentes aux motorisations destinées à la route. Du coup, et alors que toutes les cousines Huayra V12 sont turbocompressées, la R jouit d’un authentique moteur atmosphérique. Le V12 bi-turbo de la Roadster BC se ratifie (plutôt brusquement) à 6 000 tr/min? La R se permet de hurler – comme nos tympans ont pu en attester – jusqu’à 9 000 tr/min.
Surtout, la création exclusive de HWA libère son couple maximal de 553 lb-pi entre 5 500 et 8 300 tr/min – un régime de tête qui semblait jusqu’ici improbable à maintenir. La réponse de l’accélérateur à haut régime, comme vous le devinez sans doute, inspire le respect. Je ne peux attester d’aucun 0-100 km/h, puisque Pagani n’en dévoile jamais, mais dite-vous ceci: si vous avez besoin de plus de puissance, vous devrez vous sangler à une fusée pour la lune.
Haute voltige technique
Sans surprise, le comportement de la Huayra R est à la hauteur de sa haute voltige technique. Après tout, le bolide au poids presque plume est chaussé d’inébranlables Pirelli P Zero des plus tenaces et, coup de grâce, il dispose de 1000kg d’appui aérodynamique à 320 km/h. Pas besoin d’un diplôme en mathématiques avancées ou d’une calculatrice super-scientifique pour comprendre que ladite force d’appui équivaut pratiquement à la force de la gravité. Dit autrement: lorsqu’elle passe la barre des 250 km/h, la Huayra R s’ancre au tarmac avec une force qui égale deux fois son poids.
David Booth au volant de la Pagani Huayra R, au circuit italien Vallelunga.
Pagani Huayra R – Vallelunga Photo by Pagani
Autodromo Vallelunga
2022 Pagani Huayra R Photo by Pagani
Pagani Huayra R – Vallelunga Photo by Nadine Filion
Pagani Huayra R – Vallelunga Photo by Nadine Filion
Pagani Huayra R – Vallelunga Photo by Nadine Filion
Certes, les monoplaces en F1 prétendent à davantage, mais reste que je n’ai jamais rien piloté dont l’appui aérodynamique corresponde à la masse statique. Jetez dans l’équation une structure complètement révisée qui, merci au tissage unique de Pagani mêlant la fibre de carbone aux fils de titanium, profite d’un formidable accroissement de 51% de sa rigidité en torsion. Puis greffez l’ultime suspension que le constructeur développe pour sa troisième génération encore mystérieusement désignée «C10» et vous voilà en présence de l’un des supercars les plus évolués de la planète.
De fait, la Huayra R est tellement passé maître dans la gestion des forces G que me voilà en train de pourchasser Andrea Palma, censé me guider sur les 4,085km et dans les 15 virages de l’Autodromo Vallelunga. Un circuit sur lequel, incidemment, il détient le record de vitesse. Le fait que le pilote officiel de Pagani depuis 2015 se trouve au volant de la Huayra BC, animée dois-je le rappeler de 12 cylindres turbocompressés malaxés par les bonzes d’AMG, ne minimise en rien la facilité avec laquelle je le talonne dans les lignes droites, mais aussi dans quelques virages. Soyons honnêtes: ce n’est pas le talent qui me permet de garder le rythme, c’est bien la magie combinée de l’aérodynamisme et de la suspension Pagani.
La Huayra Roadster BC du pilote-essayeur de Pagani, pourchassée par la Huayra R aux mains de notre journaliste David Booth. Photo by Pagani
Étonnamment docile
Le plus étrange, c’est qu’en dépit de l’extravagance de son moteur et l’agressivité de son allure – croyez-moi, la R semble encore plus intimidante dans la vraie vie que sur nos photos – cette Huayra est d’une docilité surprenante à piloter, du moins selon les normes établies par les autres supercars réservés à la piste.
L’impression la plus marquante que j’ai ressentie en pourchassant Palma? L’évidente nonchalance avec laquelle la R génère ses performances. Même que je suivais suffisamment près la Roadster BC pour remarquer qu’elle se trémoussait, dans les efforts de Palma pour conserver son avance. Pendant ce temps, «ma» Huayra R demeurait un modèle de neutralité. Qu’importe l’intensité avec laquelle j’éperonnais mon éclaireur, qu’importe le délai et l’ardeur avec lesquels je freinais en approche d’apex, je n’ai jamais pu entraîner la R en perte de contrôle.
De la part de la Huayra, pareil comportement obligeant est exactement ce qui était visé, m’a confié le chef du département technique chez Pagani, Francesco Perini. En effet, avec son étiquette de 2,6 millions d’euros, le public-cible de la R en est un de gentlemen racers, dont certains avec très peu d’expérience en piste.
David Booth et Francesco Perini, ingénieur à la tête du Département Technique chez Pagani. Photo by Nadine Filion
L’ensemble du châssis de la Huayra R a donc été développé avec, en tête, l’équilibre. Ainsi, les 1 000 kilos d’appui sont d’un presque parfait équilibre avec une répartition du poids avant-arrière de 46:54. Même lorsque la R encaisse plusieurs G, l’aspect «actif» de l’apanage aérodynamique – principalement, les volets intérieurs qui se relèvent considérablement plus que ceux de l’extérieur – place davantage de poids sur les Pirelli intérieurs en virages serrés.
Ajoutez le contrôle de traction le moins intrusif que j’aie jamais testé sur un supercar et non seulement la Huayra R peut générer des vitesses excessives, mais elle le fait comme s’il s’agissait d’un jeu d’enfants.
Espérons que les 30 chanceux déjà assurés par Pagani de «leur» Huayra R, dont un Canadien – et il serait Québécois, dit la rumeur – sauront abuser, autant que moi, de ses bonnes manières.
Keyword: Essai: Pagani Huayra R 2022 — ou la symphonie en V12 majeur