Vallelunga, Italie – Pourquoi diable Pagani a-t-il choisi l’obscur Autodromo Vallelunga, à 35 kilomètres au nord de Rome, pour présenter à une très sélecte cohorte médiatique sa plus récente itération, la Pagani Huayra R?
Pourquoi ne pas avoir plutôt choisi de faire découvrir la digne descendante de la Zonda R – premier supercar non-homologué pour la route du constructeur argentino-italien produit en 15 exemplaires entre 2009 et 2011 – sur un circuit comme Monza ou encore Fiorano, dans le fief de Ferrari? Après tout, ces deux illustres circuit sont situés pas mal plus près de l’Atelier Pagani, établi à San Cesario sul Panaro, dans la (célèbre) province de Modène…
En ce chaud mercredi matin du mois de mai, c’est la question que nous posons à notre chauffeur, qui nous mène aux puits bordant le circuito de quatre kilomètres et où se terre la «R» – actuellement le bolide de performance le plus évolué de la planète.
La réponse, notre chauffeur la connaît bien, puisqu’il est le grand directeur marketing chez Pagani et – incidemment – l’un des deux fils du légendaire (et encore bien vivant) Horacio Pagani.
Christopher Pagani, chef marketing pour l’entreprise fondée par son père, avec la Huayra R sur le circuit italien Vallelunga. Photo by Nadine Filion
De son père, Christopher Pagani a hérité de la petite mais combien auguste stature, du même regard à la fois vif et doux. Surtout je reconnais, en ce jeune homme sur le point de célébrer ses 34 ans, la nature paternelle qui allie tranquillité, sérieux et passion rieuse. Un intéressant trio d’attributs, vous en conviendrez.
Christopher Pagani, donc, nous explique que si l’autodromo de Vallelunga a été choisi pour faire tester la Huayra R à cinq journalistes de la presse internationale (dont ma tendre moitié Verbomoteur, David Booth, d’où mon insignifiante présence en des lieux si saints), c’est «parce qu’on l’a principalement développée ici, qu’il y règne une météo plus prévisible que ‘dans le nord’, qu’on y trouve une belle curva grande pour de belles accélérations et parce que… eh bien, il s’agit de l’un des rares circuits sans restriction quant au bruit.»
Et justement: nous entrons dans l’un des garages où préside – encore silencieusement – le bolide de 2,6 millions d’euros, soit 3,5$ millions canadiens, et qui ne sera produit qu’en 30 exemplaires.
Oh, que personne ne s’excite (trop) le poil des jambes: ces 30 unités sont toutes déjà vendues et oui, il y en a une qui s’en vient au Canada. (Plus précisément, nous apprend Facebook, elle ira se garer dans la collection gatinoise d’OB Prestige).
140 décibels de tonnerre sur quatre roues
Je pourrais essayer de vous décrire en 1000 mots l’élégance, l’exotisme, la haute voltige d’aérodynamisme, voire le romantisme de cette silhouette qui crie supercar.
Je pourrais vous abrutir de détails, pour celle qui pèse un quart moins qu’une Lamborghini Essenza SCV12 (1050kg contre 1376kg), merci à l’utilisation de nouveaux composites Carbo qui, mélangeant la fibre de carbone et les fils de titane, accroît de 51% la rigidité en torsion versus la déjà très implacable Huayra Roadster BC.
Je pourrais même vous rapporter qu’avec cette dernière cousine, les seules et uniques composantes que la Huayra R partage sont… les rétroviseurs extérieurs.
«Eh bien quoi, nous a expliqué avec un sourire l’ingénieur en chef du département technique de Pagani, Francesco Perini. Il nous fallait bien conserver le nom Huayra!»
Permettez-moi plutôt d’aller droit au but avec cette vidéo-maison (comprendre: excusez-en l’amateurisme) qui a immortalisé le premier démarrage de la journée de la Huayra R. La procédure commande trois minutes bien comptées de technicalités, de vérifications graphiques par ordinateur et de pauses chronométrées entre chacun des enfoncements d’accélérateur, dont la progression en agressivité est finement (mal)menée par Andrea Palma, pilote essayeur officiel de Pagani depuis 2015.
Avez-vous remarqué, dans cette vidéo, comment se recueillent même ceux qui travaillent tous les jours avec la «R» … et qu’ils n’hésitent pas à porter les bouchons d’oreille? C’est que la symphonie du V12 de 6,0 litres a techniquement de quoi vous défoncer les tympans.
Oh, vous pouvez commander des silenziatori optionnels, ne serait-ce que pour pouvoir vous attaquer à ces circuits de course qui, en vertu des normes FIA, limitent la décadence auditive à 110 décibels – soit l’équivalent d’un concert rock, nous disent les spécialistes.
Sinon vous en êtes quittes, comme nous l’avons été, pour 140 décibels – c’est plus que le tintamarre d’un feu d’artifice, et c’est tout autant qu’un coup de fusil tiré à quelques millimètres de votre oreille. (P.S. À 200 décibels, on peut apparemment en mourir, mais voilà une affirmation qu’on n’a pas l’intention de vérifier…)
Ce nouveau moteur, conçu et fabriqué exclusivement (!) pour ces 30 exemplaires de la Pagani Huayra R par les bonzes allemands d’Affalterbach HWA, le très exclusif préparateur «racing» affilié à Mercedes-AMG, «possède le charme, le romantisme et la simplicité des moteurs de F1 des années 1980», énonce Horacio Pagani.
Nous le croyons sur parole, alors que nos tympans, mais aussi nos «trippes» vibrent, au diapason du sol et des murs de béton qui nous entourent, sous cet hurlement sans entrave, à 8 250 tr/min, de 838 chevaux (850 poulains, selon la mesure européenne).
Vous avez bien lu: sans entrave. Car la sonorité libérée par le V12-R d’aspiration naturelle – lire: sans turbocompression, sans suralimentation, bref rien d’autre que de la bonne vieille combustion interne – n’est freinée d’aucune mécanique. Elle est purement et exhaustivement (dé)livrée par le quatuor d’échappements devenu la signature corporative du constructeur italien. Ici, on se targue même de tuyaux d’à peine un tiers d’épaisseur versus ceux «normalement utilisés pour les voitures de route». Oh, et ils sont galvanisés de céramique, «afin de protéger le compartiment-moteur», dixit le communiqué technique.
Bref, la Huayra R, c’est du tonnerre sur quatre roues, allié à un poids-plume de composites parmi les plus avancés au monde. (D’ailleurs, l’industrie de l’avionique d’affaires a déjà commencé à solliciter l’expertise Pagani pour la conception et la fabrication de ses habitacles aériens haut de gamme). Le tout est suspendu d’un système électronique au sommet de son art pour la simple et bonne raison, s’il en est une, que «mon père est un maniaque de suspensions», nous a confié son fils.
En piste… et autour de la table
Pour tout savoir du comportement en piste démontré par le bolide le plus puissant à jamais s’être extirpé de l’écurie Pagani, lisez (ici) cet essai routier. Pour la petite histoire d’arrière-scène, sachez qu’il a été rédigé dans les minutes qui ont suivi l’expérience. Pendant ce temps, votre soussignée a eu l’insigne honneur de représenter Driving.ca (en français!) à la tablée partagée avec les représentants des Top Gear britannique, Sport Auto allemand et français de ce monde, profitant de l’occasion pour questionner Christopher Pagani sur son père.
Horacio Pagani Photo by Nadine Filion / 2021
Sans (trop) de réserve, celui dont la première «job» a été de laver des… Pagani (!) décrit son paternel comme «très bon avec les chiffres»: «Il sait tout de suite si ça fait économiquement du sens – ou pas.» Voilà sans doute pourquoi là où la plupart des constructeurs de voitures exotiques n’accouchent que d’un modèle ou deux, Pagani s’est révélé être de la trempe de Ferrari, avec déjà 30 ans d’histoire et près de 800 voitures produites – à la main, bien sûr, chacune commandant de neuf à 12 mois de labeur.
Christopher, qui est né en 1988, soit avec les premières ébauches de la Zonda, décrit également Horacio Pagani comme incapable de décider pour lui-même. Aux clients qui demandent au grand Horacio de leur concevoir «une Pagani comme lui la personnaliserait», l’entière famille Pagani – employés y compris – lèvent les yeux au ciel. «Vous savez combien de temps il a mis pour ‘choisir’ sa Ferrari F12 Tour de France? Pas deux jours, pas deux semaines, pas deux mois… non: mon père a mis une année à tergiverser avant de choisir!»
Heureusement, tout au contraire, «mon père sait très bien lire les gens». Et notre nouvel ami Christopher de terminer sur cette anecdote: «Un client venait de passer trois heures à considérer les options de personnalisation pour sa Pagani, mais il ne pouvait toujours pas se décider quant à la couleur. Mon père lui a conseillé d’aller dormir là-dessus et lorsque le client est revenu à l’Atelier, mon père lui a suggéré d’envisager une teinte qui n’avait absolument pas fait partie de la discussion. Le client a tout de suite acquiescé: c’était le doré qu’il lui fallait.»
Pagani Huayra R – Vallelunga Photo by Nadine Filion
Autodromo Vallelunga
Pagani Huayra R – Vallelunga Photo by Nadine Filion
Pagani Huayra R – Vallelunga Photo by Nadine Filion
Pagani Huayra R – Vallelunga Photo by Nadine Filion
Pagani Huayra R – Vallelunga Photo by Nadine Filion
Pagani Huayra R – Vallelunga Photo by Nadine Filion
2022 Pagani Huayra R Photo by Pagani
Pagani Huayra R – Vallelunga Photo by Nadine Filion
Keyword: En direct de chez Pagani: vive la Huayra R… libre!